New York (Fillmore East) : 1er janvier 1970 [Second concert]

Titres :
1. Stone Free
2. Power Of Soul
3. Them Changes
4. Message To Love
5. Earth Blues (Eart Blues Today)
6. Machine Gun
7. Voodoo Child (Slight Return)/We Gotta Live Together
8. Wild Thing
9. Hey Joe
10. Purple Haze

Source : Box Of Gypsys (CD5/CD6).
1-10 : Sounboard. Titres 2 et 3 inversés.

Seuls les deux derniers titres du concert n'ont jamais été publiés officiellement.
La face 2 de l'album "Band Of Gypsys" publié en 1970 est entièrement consacrée à cette dernière performance du groupe au Fillmore East. On retrouve ainsi "Them Changes" (sous le nom de "Changes") et "Message To Love" a priori* dans leur intégralité.
Par contre, les versions de "Power Of Soul" et "We Gotta Live Together" sont éditées.
On retrouve le reliquat sur le "Live At THe Fillmore East", ainsi qu'une version plus complète de "We Gotta Live Together", même si elle reste elle aussi largement éditée.
* Voir le développement consacré à "Them Changes".

Le répertoire a une tonalité sensiblement différente des trois autres concerts (surtout vis-à-vis de ceux donnés en début de soirée) : nouvelles compositions et classiques de l'Experience sont représentés dans des proportions comparables. Il est difficile de spéculer sur les motivations d'un tel recentrage : volonté de "casser la baraque" en alignant les tubes, enregistrement des classiques de l'Experience dans la perspective du Live, envie de se faire plaisir, désir de ne pas jouer les mêmes titres que lors des précédents concerts...

Le show commence ainsi avec les harmoniques de "Stone Free", titre phare de l'Experience dont la version studio ouvre la face 2 de l'édition américaine de "Smash Hits", publiée quelques mois plus tôt.
Comme la veille, le groupe s'approprie la composition de manière intéressante. Le jeu de Buddy Miles est moins axé sur ses toms, plus sobre. Son jeu, plus relâché sur le second couplet, gagne à être épuré. Son apport vocal sur les refrains donne une nouvelle saveur appréciable.
Après le deuxième refrain, Hendrix se lance dans un long solo très saturé, sur la même rythmique que la veille (Billy Cox martèle le riff final d'"Astro Man").
Hendrix apprécie particulièrement ce type de contexte : l'absence de changement d'accord lui donne une grande liberté harmonique, laissant sa seule imagination comme fil rouge de ses improvisations.
Feed back, vibrato, jeu en octaves, tensions harmoniques, variations rythmiques... Hendrix s'exprime avec le langage qu'il a créé, unique.
On notera qu'Hendrix cite très brièvement le thème de "Little Drummer Boy"... intégré peut-être un peu vite dans la setlist par le site officiel (sauf à ce qu'il en existe une version inconnue à ce jour... ce qui est peu probable).
Buddy Miles improvise ensuite un scat d'une minute trente, suivi par un passage semi-free où Hendrix joue au percussionniste sur son instrument... avant de procéder à un court lancer de bombes proche de celui joué sur "Machine Gun" quelques heures plus tôt.
Le groupe reprend le riff énergiquement et embraye avec le dernier refrain. La transition est impeccable.
Le coda de la veille sur deux accords se prolonge par un superbe passage chanté où Jimi improvise autour des paroles ("I've gotta be free") avant de repartir dans un nouveau solo, où il joue en octaves avec un son clair dans un style similaire à celui de "Burning Desire".

Hendrix souhaite une bonne année à l'audience.

Jimi attaque l'introduction de "Power Of Soul", ponctuée par Buddy et Billy avant de laisser résonner un accord suivi d'un "Aaahh !" du gargantuesque Buddy Miles. C'est tout du moins ce qui se passe sur l'album car Hendrix a édité tout ce qu'il avait entre cet accord et le cri de Buddy Miles.
Aucune enregistrement non édité de "Power Of Soul" ne circule à ce jour, mais on peut supposer que l'introduction devait durer au moins les trois minutes habituelles.
On bascule ainsi directement sur un formidable solo de Jimi, remarquable d'intensité : preuve qu'un cut bien placé n'est pas toujours une mauvaise chose.
La conséquence logique est une rapide entrée en matière du premier couplet chanté par Jimi (alors que c'est Buddy qui chante seul le premier refrain).
Contrairement aux versions précédentes, Jimi développe le solo central, enclenchant fuzz et Octavio pour un rendu fantastique, où sa guitare hurle véritablement. Il joue avec une autorité le rapprochant plus d'un saxophoniste ténor que d'un quelconque guitariste !
Hendrix joue à merveille de sa voix lancinante lors de la reprise.
Buddy Miles attaque seul le refrain. Ce coup-ci, c’est Jimi qui lui répond (inversant ainsi les rôles avec "Who Knows").
Au bout du compte, nous avons une version phénoménale de "Power Of Soul", et confirmation de la rigueur de Jimi en tant que producteur : Hendrix faisait manifestement une excellente autocritique de son Oeuvre.

La quatrième et dernière version du "Them Changes" de Buddy Miles fonctionne elle aussi à plein régime. Hendrix écrase le riff des cuivres à la wah wah alors que le groupe bastonne derrière.
Le solo de Jimi est le plus abouti, puissant et funky à la fois.
Là encore, Hendrix ne s'est pas trompé en retenant cette version.
Une question se pose tout de même : cette version ne serait-elle pas éditée ? Lors des trois précédents concerts, Buddy développe son numéro de preacher un bon petit moment alors qu'ici, ce passage est très resserré... d'autant que les gens claquent des mains dès la fin du solo de Jimi, avant même un "Everybody ! Clap your hand !"
Un petit cut de Jimi en studio à la fin de son solo n'est pas à exclure...
"Oh Christ Buddy, would you shut up" (voir l'extrait de l'interview d'Eddie Kramer cité lors du développement consacré à "We Gotta Live Together")

On enchaîne avec "Message To Love", dans ce qui reste, IMHO, la meilleure version jouée par Jimi, studio et live confondus.
La composition tranche avec son travail antérieur. Vous imaginez Noel Redding jouer une ligne pareille ? Musicalement, tout est là : une basse dynamique, le drive de Miles, et un chant communicatif.
Le premier solo, très saturé, est maîtrisé de bout en bout, et remarquablement construit. Le niveau d'énergie, pourtant très haut dès le départ, ne retombe jamais.
Le second solo est dans une veine similaire, mais peut-être moins intense (il a de petits problèmes de justesse au début).

C'est donc avec une guitare légèrement désaccordée que Jimi lance le riff en octaves de "Earth Blues". Le son n'étant pas trop saturé, les dégâts sont limités.
Malheureusement, le chant de Jimi est cette fois-ci très moyen, surtout comparé à la version studio publiée en 1971.
Hendrix se lance rapidement dans un long solo aventureux, mais assez inégal. Les idées se bousculent mais ne sont pas toujours en place. Techniquement, on a vu Jimi plus rigoureux, et les soucis de justesse n’arrangent rien.
A noter l'excellence de la ligne de basse de Billy Cox relançant efficacement le solo malgré le rythme imperturbable de Buddy Miles.
En ce qui me concerne, la publication officielle de 1999 n’était pas indispensable.

Hendrix commence l'introduction de "Machine Gun" sans même se réaccorder (ce qui vaudra d'ailleurs aux premières mesures d'être éditées sur "Live At THe Fillmore East"). Et c'est tout à fait regrettable, car Jimi part sur des bases pour le moins instables, voire douteuses. Contrairement à la version légendaire jouées quelques heures auparavant, les parties où guitare et chant sont à l'unisson sont réduites à la portion congrue, et les couplets nettement moins forts.
Hendrix enclenche son fuzz dès qu'il lance le riff "No Quarter", et part aussitôt en solo.
Les choeurs avec la descente chromatique sont présents eux aussi. Ils contribuent utilement à installer un malaise que ne dissipe pas un solo des plus furieux de Jimi, très original. Sa technique de soliste permet de cacher les problèmes de justesse, qui sont moins flagrants dans le contexte volontairement dissonant de ce passage.
Solo intéressant donc, même si Kramer en a édité la fin, où Hendrix reprend le riff désaccordé comme jamais.
Le coeur n'y est pas forcément lors du couplet suivant...
Un échange de tirs entre Hendrix et Miles (où Buddy joue curieusement hors tempo par moments) précède un solo free de Jimi, mélangeant feed back et percussions.
Hendrix dresse ensuite une montagne de saturation, déverse un flot de bombes sur le Fillmore puis termine en citant "Taps".
De bons moments... mais trop inégal.
Je pense que Kramer aurait pu nous faire l'économie des deux prises de "Machine Gun" présentées sur le "Live At THe Fillmore East" : elle ne rajoutent rien à la version publiée du vivant de Jimi... qui doit se retourner dans sa tombe à l'écoute d'une guitare à ce point désaccordée.

Hendrix présente ensuite "l'hymne national des Black Panthers" : "Voodoo Child (Slight Return)". Les problèmes de justesse se sont envolés, et c'est une superbe version présentée ici par le Band Of Gypsys, plus groove bien sûr. Le jeu de Billy Cox se marie manifestement bien avec celui de Buddy Miles. Il semble plus à l'aise avec une assise rythmique métronomique.
Le premier solo, typique de Jimi, est à la hauteur de ce qu'on peut attendre de lui en matière d'intensité. Le second présente aussi de bons passages, même si les octaves de Jimi ne sont pas toujours justes.
Au final, c'est une relecture intéressante, relativement courte comparée aux versions de l'Experience.

Mais le groupe enchaîne sans interruption sur le Buddy "We Gotta Live Together" Miles show.
"We Gotta Live Together", dernier titre chanté au Fillmore par Buddy Miles, est en fait très différent du titre qu'il a enregistré en studio. A l'origine, Miles voulait faire un clin d'oeil à Sly & the Family Stone et son "Everyday People". Jimi lance ici le riff d'un autre titre de Sly : "Sing A Simple Song" et c'est plus prétexte à une jam qu'autre chose en fait.
Extrait d'une interview d'Eddie Kramer, alors qu'il remixait la version CD du "Band Of Gyspsys" :
"Je me souviens très bien de Jimi râlant lorsque l'on en venait au matériel solo de Buddy qui n'en finissait plus. Jimi disait un truc comme "Nom de dieu, Buddy, tu vas la fermer !" On a dû procéder à beaucoup de cuts pour améliorer tout ça. Je veux dire par là qu'il adorait jouer avec Buddy... ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, c'est juste que par moments, Buddy pouvait être un peu excessif et que Jimi trouvait approprié de procéder judicieusement à des cuts."
Il tempère toutefois (ce qui explique de son point de vue la nouvelle version présentée sur le "Live At The Fillmore East") :
"J'écoute certains de ces passages édités actuellement et je grimace car je trouve ces cuts grossiers. Car alors, c'est ce que nous avions réellement fait : trancher dedans pour que ça rentre dans l'album."
La version non éditée de "We Gotta Live Together" (presque 17 minutes en tout !) disponible sur le "Box Of Gypsys" permet de faire le point sur les propos de Kramer... et sur ceux prêtés à Jimi ! Au bout du 75ème "We Gotta Live Together", difficile de ne pas penser un "Oh Christ Buddy, would you shut up" ! Dans quelle mesure Buddy Miles signait-il, avec son numéro de soul brother excessif, la fin du Band Of Gypsys, nous ne le sauront jamais...
A titre personnel, je trouve le travail de cut de Jimi loin d'être grossier : il a pris les meilleurs passages de la Jam, les a mis bout à bout, et créé in fine un super morceau ! On verra malheureusement par la suite que tous les producteurs qui se sont penchés sur Hendrix sont loin d'avoir le même talent en la matière...

Quand le "Live At THe Fillmore East" est sorti en 1999, j'avoue avoir été pour le moins surpris de voir "Wild Thing" dans le répertoire du Band Of Gypsys ! La reprise des Troggs est tellement liée au répertoire des débuts de l'Experience... (il existe seulement deux versions postérieures à l'été 1968 : une au Winterland, l'autre au RAH).
Hendrix attaque furieusement l'introduction à l'Octavio, qu'il coupe lorsque le groupe entre en scène. Et la sauce Band Of Gypsys prend une nouvelle fois pas mal !
Pas de citation du "Strangers In The Night" de Sinatra lors du solo, mais des traits bluesy bien sentis et un final sans reprise du chant joué avec les dents.
Moins de trois minutes : le contraste est saisissant ! Au passage, le titre passe nettement mieux ainsi que sur le "Live At THe Fillmore East", compilé sans grande cohérence. Une bonne décharge rock est effectivement du plus bel effet après l'interminable Buddy Miles show.

Hendrix remercie le public du Fillmore, et le salue...

...mais il revient pour un rappel inédit officiellement : "Hey Joe". Une version de plus de "Hey Joe" donc, mais par le Band Of Gypsys. Buddy Miles assure des choeurs dans l'esprit de la version studio, légèrement différents toutefois.
Le chant de Jimi est correct, mais sans plus.
Trois citations des Beatles ce coup-ci : deux fois le riff de "I Feel Fine", puis celui de "Day Tripper".
Le premier solo, qui dure les deux cycles habituels avant la traditionnel montée chromatique, est original mais sans surprise. Il manque un peu de relief.
Le dernier solo de Jimi, très court, est appuyé par Buddy... manifestement moins inspiré sur ce tempo que Mitch Mitchell !
Version assez moyenne au final.

Pour finir en beauté, Jimi lance un "Purple Haze" énervé (le premier couplet balance bien), mais très brouillon : il zappe des paroles pendant le second couplet, et rencontre de gros problèmes de justesse qui plombent définitivement l'exposé du thème après le solo central (où Jimi sauve toutefois les meubles) ainsi que le dernier couplet.
Je soupçonne ses deux compères de ne pas s'arrêter à temps lorsque Jimi joue le coda avec ses dents.

Bref, deux titres du répertoire de l'Experience inédits par le Band Of Gyspsys ... et qui risquent de le rester longtemps !

Conclusion : Une ultime performance très inégale du Band Of Gypsys. Des moments magiques, de l'intensité... mais aussi des longueurs et des ratés. La face 2 du "Band Of Gypsys" est le condensé idéal de ce dernier concert au Fillmore.

Les premiers shows des deux jours s'avèrent sans conteste supérieurs aux seconds, et la journée du 1er janvier plus dense que celle du 31 décembre.
Le troisième concert compte ainsi parmi les moments forts de la carrière de Jimi... alors que le deuxième est réservé aux seuls amateurs.
Ensuite, comparer les premier et dernier shows n'est pas chose facile : l'enregistrement "audience" de la majorité des titres du premier concert rend cette mise en perspective délicate.

Si l'album édité en 1970 reprend la quintessence des concerts au Fillmore, l'idée d'un "Band Of Gypsys II" était intéressante. Malheureusement, les deux tentatives publiées à ce jour s'avèrent décevantes. Le "Live At The Fillmore East" pèche par excès là où le "Band Of Gypsys 2" manque de consistance...